Notre ami, notre collègue Henri LOPES, dont la vie pendant plus de vingt ans a été si liée à la vie de l’UNESCO, nous a quittés l’automne dernier après une longue maladie qu’il a combattue jusqu’à la fin avec vaillance et pugnacité.
Personnalité hors du commun, il avait publié il y a quelques années un livre magnifique « Il est déjà demain » (Lattes), plus de 500 pages de Mémoires où il retraçait le fabuleux itinéraire de sa vie. Ce jeune métisse congolais nourri d’histoire et de culture européennes s’était lancé dès sa jeunesse dans l’immense rêve de la décolonisation des années cinquante en participant comme militant engagé aux luttes d’indépendance en Afrique et dans son pays le Congo Brazzaville .Il y fut tour à tour Directeur de l’Enseignement et Ministre de l’Education, Ministre des Affaires Étrangères et Premier Ministre, enfin Ministre des Finances. Cet amoureux de l’Afrique a vécu pendant plus de vingt ans une aventure politique passionnante et complexe au service de son pays, où les enjeux pour créer une nouvelle société furent difficiles et pleins d’embûches.
C’est à une période tourmentée de sa vie à 45 ans, en 1981, qu’Henri LOPES a rejoint l’UNESCO comme Sous-directeur général de la Culture et plus tard comme Sous-directeur général des Affaires extérieures. Il y resta vingt ans avant de devenir pendant 18 ans, Ambassadeur du Congo et Doyen du Corps Diplomatique en France.
En l’accueillant, Le Directeur général de l’époque, Amadou Mahtar M’Bow voulait qu’Henri LOPES apporte à l’UNESCO son expérience d’homme politique et de culture, et ses réseaux internationaux. Henri Lopes connaissait les cinq continents, c’était un voyageur infatigable qui aimait les êtres, les villes et les paysages. Il avait côtoyé Mao et Chou en Lai, les chefs ‘Etat de tous les continents avec une préférence pour le grand Julius Nyerere de Tanzanie, un modèle, qu’il considérait comme son mentor.Historien de formation, écrivain, polyglotte, expert en éducation et en relations internationales, Henri LOPES avait toutes les qualités pour promouvoir les objectifs du Secteur de la Culture, la diversité culturelle et les contacts entre les cultures.
D’entrée de jeu, Henri LOPES se sentira à l’UNESCO comme un poisson dans l’eau, y sera très aimé de ses collègues et des États-Membres. Il voyagera inlassablement pour promouvoir et mettre en valeur l’œuvre majeure de l’UNESCO en faveur du patrimoine mondial de l’humanité, ce millier de sites, ces villes, ces monuments, ces paysages sous sa protection et qui ont donné son prestige à l’Organisation : Abou Simbel, Florence, Boroboudour, Notre-Dame de Paris, les chutes Victoria, les grands parcs nationaux du Canada etc. pour ne nommer que quelques merveilles. Tous les pays souhaitent on le sait, le label UNESCO si important pour l’identité nationale et le tourisme.
C’est à l’époque d’Henri Lopes, au cours des riches années 80 et de l’élargissement de la notion de culture que l’on comprend que la définition de la culture ne peut s’arrêter aux monuments et aux sites, mais qu’elle comprend aussi les expressions, les traditions orales, les rituels, les danses, les chants, les musiques, les langues et le savoir faire de l’artisanat traditionnel si important dans les pays en développement notamment pour la promotion du travail des femmes et de leur créativité. Comme Directrice des arts et de la vie culturelle, j’ai eu l’honneur de mettre en place avec mon équipe à l’Unesco ce que l’on nomme désormais le «patrimoine immatériel» et pour ce travail comme pour celui en faveur de la création artistique, j’ai eu la chance de travailler étroitement pendant 15 ans avec Henri LOPES qui m’apportait un soutien constant.
Quel homme était-il ? Quel Patron ? C’était un homme libre et heureux.
Il y avait chez lui cette élégance, ce sourire bienveillant, cette courtoisie pleine d’humour mais c’était aussi une main de fer dans un gant de velours. A une époque où la valeur «travail» est mise en cause, il était lui-même un immense travailleur, modeste, appliqué, qui possédait la qualité ultime d’un grand patron, il savait déléguer. Il accordait sa pleine confiance à ses collègues responsables, joyeux et travailleurs. Mais il ne fallait pas le décevoir.
Féministe avant l’heure, éduqué jusqu’à six ans par des femmes métisses qui l’adoraient, il n’avait pas attendu «me too» pour accorder sa confiance et son respect à ses collègues féminines comme à ses collègues masculins. Pour Henri LOPES les autres étaient des SEMBLABLES. Il ne parlait jamais de lui, de son glorieux passé, de son écriture, son souci était le bien être des autres et il se sentait à l’aise avec les gens de tous les âges, et de tous les milieux sociaux. C’était un homme de l’ECOUTE, se voulant homme parmi les hommes. Il écrivait la nuit, et c’est au cours de ses 20 années à l’UNESCO qu’il publia ses meilleurs livres, comme romancier, poète et essayiste, « le Pleurer-rire », « le Chercheur d’Afrique » « Le Lys et le flamboyant » entre autres, et qu’il acquit de fidèles lecteurs qui admiraient cette plume chatoyante et ensoleillée.
Henri LOPES disait en souriant :
« L’UNESCO fut mon Abbaye de Thélème »
Madeleine Gobeil, Ancienne Directrice des Arts et de la Vie culturelle à L’UNESCO