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90 ans de coopération intellectuelle : L’histoire oubliée du prédécesseur de l’UNESCO

90 ans de coopération intellectuelle : L’histoire oubliée du prédécesseur de l’UNESCO

Le 16 janvier 1926, un groupe d’hommes d’Etat, diplomates et fonctionnaires se réunissait à Paris pour inaugurer l’Institut international de coopération intellectuelle dans son siège prestigieux du Palais Royal.

Du vin était servi et un orchestre jouait  Beethoven, Haendel et  Mozart. Le ministre français de l’Education, Edouard Daladier s’adressa aux invités, soulignant l’idée fondatrice de l’Institut : « Tout comme la Société des Nations elle-même, expliqua Daladier, l’Institut était inspiré par la collaboration pour la paix » (Programme Leaflet, Janvier 1926, A.I.6, IIIC Records, AG1, Archives UNESCO Paris). Il était conçu comme une plateforme d’échanges pour les universités, les écrivains, les enseignants et les artistes, afin de promouvoir des standards communs en science et  bibliothéconomie, afin de faire connaître les grandes réussites universitaires, protéger la propriété intellectuelle et faciliter les échanges entre étudiants. Le point culminant de la déclaration de Daladier fut : « le futur de la Société des Nations dépend de la formation d’un esprit universel » Autrement dit, construire la paix dans l’esprit des peuples garantirait la paix en général – une variante du slogan qui reste celui de l’UNESCO jusqu’à ce jour.

L’Institut  était l’agence exécutive du Comité international pour la coopération intellectuelle fondé en 1922 à la Société des Nations, et basé à Genève. Le Comité se glorifiait d’une douzaine d’intellectuels de renom - y compris Marie Curie et Albert Einstein - qui se réunissaient annuellement pour démontrer la transnationalité de la science et de la culture. Depuis lors, néanmoins, la Société des Nations étant incapable d’assurer des fonds suffisants, le Comité n’était qu’un peu plus qu’une illustre réunion  internationale au Palais des Nations. Quand le Comité exprima son insatisfaction de cet état de choses, le gouvernement français répondit, en 1924, par une offre généreuse – la seule condition étant que le nouvel Institut ait son siège à Paris « Le gouvernement français serait disposé à fonder à Paris un Institut international de coopération intellectuelle…tous les frais seraient couverts par une subvention annuelle » (communiqué du 12 septembre 1924, A.64.1924.IIIC Records, AG1 Archives UNESCO, Paris).

La Société des Nations accepta avec gratitude. Après l’approbation de toutes les autorités, l’Institut ouvrit l’année suivante. Grâce à la donation, son siège  devint le Palais Royal, en plein Paris. Situé commodément près du Ministère français de l’Education, le Palais Royal fournissait à l’Institut des facilités extraordinaires pour les réunions, les réceptions et le travail de recherche. Il se répartissait sur quatre étages, comprenait une salle de conférences, des salons de réception, une bibliothèque, des archives, divers bureaux et une  salle à manger. L’Institut remeubla entièrement les locaux et les munit d’une cuisine moderne, d’interphone, d’extincteurs et de linoleums, dépensant en tout 184.877 francs. Le Secrétaire général de la Société, Sir Eric Drummond, commenta l’équipement luxueux de l’Institut dans son allocution de la cérémonie d’ouverture : « Il y a une chose que j’envie, le magnifique immeuble qui est placé aujourd’hui formellement à la disposition de l’Institut par vous, Monsieur le Président. A cet égard, je crains que le Secrétariat ne doive accepter de rester pour toujours en position d’infériorité » (Allocution d’Eric Drummond, 16 janvier 1926, A.I.6, AG1, IIICRecords, Archives de l’UNESCO, Paris).

L’Institut, dirigé de 1926 à1930 par l’expert français en éducation, Julien Luchaire, s’ouvrit avec un programme ambitieux : une section pour les relations universitaires, une section dédiée aux sciences naturelles et une autre aux humanités, un service juridique et un bureau d’information qui publiait des fascicules, des bulletins et des manuels. Entre autres projets, on trouvait la révision des manuels scolaires, la diffusion de productions radiophoniques et cinématographiques, une convention sur les droits de propriété intellectuelle (passée en 1938), des collaborations entre artistes et musées (y compris la publication de la revue trimestrielle Museion) et l’organisation de conférences scientifiques – telles la Conférence des études internationales, première association mondiale pour l’étude des relations internationales. La plupart de ces tentatives ne rencontrèrent qu’un succès mitigé parce que l’Institut manquait des fonds nécessaires pour faire plus que faciliter les réseaux de travail entre les institutions existantes. Durant les années 30, l’idéal de l’Institut pour une collaboration pacifique souffrit du retrait des dictatures de toutes les activités de la Société et, en 1940, les autorités allemandes mirent ses bureaux sous scellés. Après la seconde guerre mondiale, une brève tentative de ressusciter l’Institut échoua et, au lieu de cela, Jean-Jacques Mayoux, le dernier directeur de l’Institut signa, avec Julian Huxley, un contrat qui transférait toute propriété à l’Unesco nouvellement créée, mettant ainsi fin à cette courte histoire de vingt ans.

 

En dépit de ces échecs, l’Institut a procuré un forum important aux débats intellectuels et aux échanges culturels durant l’entre-deux guerres. Une pépite particulière est la série de conversations entre les leaders intellectuels, qui comprend une correspondance entre Albert Einstein et Sigmund Freud, intitulée ‘Pourquoi la guerre’ (1932). L’idée à l’origine de l’Institut aussi bien que ses divers projets anticipaient de plusieurs façons le travail des organisations internationales post-1945. Il est surprenant néanmoins que la coopération intellectuelle transnationale reste un champ tellement sous-exploré, avec seulement une poignée d’articles (tels  « Coopération intellectuelle transnationale, la Société des Nations et le problème d’ordre » dans le Journal de l’histoire mondiale) et une seule  monographie récente, « L’UNESCO oubliée : l’Organisation de Coopération intellectuelle (1921-1946) »)  par Jean-Jacques Renoliet publiée en 1999 mais disponible en français seulement. Près d’un siècle plus tard, il est grand temps de réfléchir aux réalisations de la coopération intellectuelle entre les deux guerres et d’utiliser les archives de l’Institut abritées à l’UNESCO, Paris. Ainsi, le but de ce blog post est au tant la célébration d’un anniversaire qu’une exhortation à ne pas oublier les morts.

 

Jan Stöckmann est doctorant en Histoire au New Colledge d’Oxford et couramment étudiant visiteur en PhD à la Columbia University, New York. Sa thèse étudie les réseaux d’étudiants et de politiciens qui promurent l’étude des relations internationales en tant que discipline académique de 1914 à 1939 environ. En sus de ses recherches il a passé deux mois à l’UNESCO comme stagiaire.

 

 (Traduit de l’anglais par Yolaine Nouguier)

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